Les jours passent et se ressemblent

Les jours passent
Et se ressemblent
Les heures trépignent
Et se languissent
Les secondes s'effondrent
Et se confondent
Vieux chameau
Tu m'as laissée seule
Avec une bosse dans le dos
Et des écueils
Dans mes yeux orgueilleux
Mais mon coeur continue
De battre la chamade

Je vieillis mal, et sénile
Sous le regard ébahis
De ton arrière petit- fils Edgar
Ses mains potelées et maladroites
Jouent à étrangler mes rides
Mon visage porte ma peau
Comme une vieille fripe
Et de ce jeu anodin
Je retourne à deux mains
Les pages jaunies d'autrefois
Seules vestiges de mon amour pour toi

Tiens, voilà Bertille
Ta petite- fille
Toujours avec son sourire myrtille
Elle donne un goût fruité
A chacune de ses visites parfumées
Elle est maintenant maman
Il est fini le temps
De la mère- grand
Où je contais, près de l'âtre endormi
Le petit chaperon rouge
Et le grand méchant loup
« Que vous avez de grandes dents »
M'exclamais- je tout en mimant
Aujourd'hui, je suce de la glace
Et aspire à la paille mon potage

De mon fauteuil capitonné
J'observe avec réserve René
Lui aussi a atteint l'âge
Des grandes questions de l'âme
Et des promesses de la sagesse
Millésime d'un bon vin
Il a la robe prononcée d'un grand cru
Trop corsé pour être dégusté à nu
Mieux vaut l'accompagner d'une pâte molle
Ou d'une chair sanguine et forte
René est l'aîné d'une fratrie
Triplette : un gars, deux filles
Ils sont tous là pour fêter
Mamy gaga.

La famille au complet
Est prostrée devant moi
Telle un chevalier qui attend le sacre
Mais mon trône improvisé
Sent le caca
Et sur ma tête ébouriffée
Pas de couronne
René m'a recoiffée
Mes filles m'ont pomponnée
Et Myrtille en a rajouté
Je m'imagine soudain la chanson d'Aznavour
« ils sont venus, ils sont tous là
elle va mourir la mama.... »
Pour la centenaire que je suis
On ne sonne pas le tocsin
Juste le glas

Maman, mamy, mémé :
J'ai dégringolé les escaliers
Et gravi tous les échelons
Au crépuscule de ma vie
Je m'en félicite
Et sur cette dernière photo de groupe
Je tire la langue
Comme un bras d'honneur
A mes dernières heures...
Ce souvenir finira sur la commode
Ou dans un vieux carton
Je m'en moque

J'accorde mes dernières notes

Au diapason de mes légataires

Les jours passent
Et se ressemblent
Les heures trépignent
Et se languissent
Les secondes s'effondrent
Et se confondent
Vieux chameau, j'arrive
Je te rejoins au Paradis
Je laisse à ma suite
Des tapis volants
La vieille pie que je suis clapse
Les chiens aboient
La caravane passe
Et traverse le désert de la vie....